Que signifie le mantra Oṃ pūrṇamadaḥ pūrṇamidam…?
ॐ पूर्णमदः पूर्णमिदं पूर्णात्पूर्णमुदच्यते ।
पूर्णस्यपूर्णमादाय पूर्णमेवावशिष्यते ॥
ॐ शान्तिः शान्तिः शान्तिः ॥
Oṃ pūrṇamadaḥ pūrṇamidam pūrṇāt-pūrṇam-udacyate,
pūrṇasya pūrṇamādāya pūrṇam-evāvaśiṣyate.
oṃ śāntiḥ śāntiḥ śāntiḥ!
Om, Cela est infini, ceci est infini, de l’infini naît l’infini,
si l’infini est soustrait à l’infini, l’infini seul subsiste.
Om paix, paix, paix !
Om…
C’est la fin de votre séance de yoga, votre professeur annonce la fin de la relaxation… et la séance se termine avec une récitation énigmatique :
Om purnamadah…
Qu’est-ce que ça veut dire, et pourquoi le réciter après les pratiques yoguiques et spirituelles ?
Tout d’abord, c’est un mantra védique, tiré de la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad – l’Upanishad, c’est-à-dire l’enseignement, de la grande forêt. On le récite avant d’étudier ce texte. C’est ce qu’on appelle un mantra pour la paix, le bien-être universels.
Om, symbole qui contient l’essence de l’enseignement.
Prononcer Om vise à compenser tous les défauts qui se glissent dans toute action humaine.
Pūrṇam
Le mot pūrṇam survient à sept reprises dans le mantra. Comme beaucoup de mots sanskrits, il se décrit plus qu’il ne se traduit. Pūrṇam fait référence au concept de complétude, de totalité.
Pūrṇam adaḥ
adaḥ signifie ça, ou cela, c’est-à-dire ce qui est éloigné de moi. C’est le mot qu’on emploie pour faire référence à tout ce qui est autre que soi. Tout ce que je vois, perçois, tout ce qui me donne le sentiment de n’être pas seule au monde. Ici, adaḥ fait donc référence à la totalité de l’univers.
Pūrṇam idam
idam signifie ceci, c’est-à-dire ce qui est proche. Ici, idam, c’est moi (ou vous).
Donc, on a vu que l’univers est pūrṇam, et maintenant, deux mots plus tard, on me dit que je suis pūrṇam. Or, ce qui est pūrṇam, c’est-à-dire complet ou total, n’a pas de limites. Parce que, sinon ce ne serait pas véritablement complet. Si je dis, par exemple, « j’ai cueilli toutes les fleurs sauf une », on ne peut pas dire que j’ai vraiment cueilli absolument toutes les fleurs. Il en reste une, donc je ne les ai pas toutes cueillies.
À ce titre, pūrṇam désigne l’infini. Mais on vient de voir que l’univers est infini, et que je suis infinie, et qu’il ne peut pas y avoir deux infinis ! (Sauf en mathématiques, mais ce sont des infinis limités. Demandez à un·e mathématicien·ne…) Justement. C’est entièrement vrai que, au niveau de ce que je perçois, je suis distincte de mon environnement. Traditionnellement, on utilise des exemples pour transmettre ce concept.
Prenons l’océan. C’est une masse d’eau inimaginable. Dans l’océan, il y a des vagues. De quoi sont faites ces vagues ? D’eau ! De la même matière que l’océan. Notre mantra attire notre attention sur le fait que, à l’image des vagues et de l’océan, nous sommes fait·e·s de la même matière que le monde dans lequel nous évoluons.
Poursuivons :
pūrṇāt
de l’infini
pūrṇam udacyate
l’infini émerge
Là, c’est sûr, il y a une méga contradiction ! L’infini ne peut pas donner naissance à l’infini, s’il y a deux infinis, ils ne seraient pas infinis puisqu’ils se limiteraient mutuellement.
Reprenons avec notre exemple. De l’eau, l’océan et les vagues émergent. L’océan et les vagues sont de la même nature que l’eau. Ils ne sont pas distincts de l’eau. Et pourtant, ils prennent forme dans l’eau.
Ok pour la mer, tout ça – mais on voit bien que les vagues et l’océan, c’est de l’eau ! Par contre, on ne voit pas que le monde émergerait d’un hypothétique infini ! Excellente remarque. Prenons, par exemple, la graine et l’arbre. Ou votre ADN et vous. Dans les deux cas, la cause ou l’origine, la graine, l’ADN, semblent ne rien voir en commun avec ce qu’elles produisent, un arbre ou un corps. L’effet n’est pas obligatoirement de la même nature que la cause. Nous vivons dans un monde composé d’idées et de formes – nous sommes nous-mêmes une idée, une forme –, qui, à l’image des vagues dans l’océan, apparaissent distinctes de leur cause, mais ne le sont jamais tout à fait. C’est pourquoi, dans ce mantra, le mot pūrṇam désigne à la fois le monde des manifestations et son essence.
Poursuivons avec la deuxième ligne :
pūrṇasya
de l’infini
pūrṇam ādāya
si on retire l’infini
pūrṇam eva avaṣiśyate
seul demeure l’infini
Si, hypothétiquement, on pouvait soustraire le monde à son essence, son essence demeurerait. C’est la même chose avec les vagues : l’eau reste, bien après que les vagues ont disparu.
Oṃ pūrṇamadaḥ pūrṇamidam pūrṇāt-pūrṇam-udacyate,
pūrṇasya pūrṇamādāya pūrṇam-evāvaśiṣyate.
oṃ śāntiḥ śāntiḥ śāntiḥ!
Om, cela, l’univers, est infini ; ceci, ma personne, est infini.
De l’infini naît l’infini ; si l’on soustrait l’infini à l’infini, l’infini subsiste.
Om paix, paix, paix
On peut lire dans ce mantra un appel à se détacher des apparences plurielles pour concentrer notre attention sur l’essence non-duelle.
Pour ma part, j’y lis une définition de l’infini volontairement paradoxale et pleine d’humour pour décrire la Réalité. Elle nous rappelle que rien n’altère la complétude inhérente à notre nature. Aucune transformation dans notre esprit, notre corps, notre vie, nos relations, notre environnement ne peut vraiment nous affecter. D’un côté, l’essence de la réalité apparaît comme voilée par une apparente pluralité, mais en fait, chaque aspect infime de ce monde – un insecte, un bout de tissu, une pensée, une personne – est, en essence, infini.
Quelle est ma place dans cet infini ? À méditer…
On conclut les pratiques yoguiques et spirituelles par ce mantra tout simplement pour rappeler cet enseignement que toute pratique vise à nous aider à mieux réaliser dans nos vies.
Mais aujourd’hui, je termine par un autre mantra…
ॐ सर्वेशां स्वस्तिर्भवतु ।
सर्वेशांशान्तिर्भवतु ।
सर्वेशांपुर्णंभवतु ।
सर्वेशांमङ्गलंभवतु ।
ॐ शान्तिः शान्तिः शान्तिः ॥
Om que tous les êtres soient en bonne santé et prospères,
que tous les êtres soient en paix,
que tous les êtres soient pleinement satisfaits,
que tous les êtres soient auspicieux.
Om que règne la paix !